« Toujours nous manque à nous-mêmes
Notre commencement et nous jetons
Des lignes dans le temps
Elles y pêchent pour nous des directions
À moins qu’elles n’inventent
Des points de vue vers l’invisible »
Bernard Noël
Si j’évite les pièges de l’image (tout ce qui tape à l’œil : l’esthétisme, l’extravagance….), qu’importe ce que je figure ou pas, il s’y glissera bien quelques indices, quelques signes de cette Présence, de cette Intimité des origines.
Vaste programme pour cette toile blanche, à seulement 2 dimensions : susciter une rencontre avec l’invisible.
Donc, voici ce rectangle vierge. Une fenêtre ouverte sur l’espace extérieur, le monde, et sur l’espace intérieur, l’être.
Et voici son enfance aquatique : quelques couleurs, et de l’eau, beaucoup d’eau. Et c’est le plaisir pur. Des taches, des éclaboussures et déjà la sensualité de la matière qui prend forme et se déforme ; et déjà la vie frémit ; une promesse tout en transparence. Puis quelques lignes qui accompagnent ; un souffle, quelques traits qui entament, le rythme d’une respiration
Le va et vient entre l’espace de la toile et celui du peintre, puis leur fusion, a déjà créé la troisième dimension et la quatrième ne tarde pas : le temps s’est glissé dans le geste, dans la trace du pinceau, dans le jeu de superpositions qui se chevauchent et s’entrelacent.
Vient sa jeunesse, avec ses audaces, ses doutes et ses erreurs. Toutes les expériences que la matière a pu offrir à l’imagination du peintre, il les a accueillies avec enthousiasme. Mais ici commencent les
Problèmes : la toile a perdu de sa légèreté, de sa fraîcheur ; elle frôle l’indigestion, elle s’éparpille dans un chaos boulimique. Et voilà les affres de la création : dans ce trop il faut choisir. Pour retrouver sa liberté, il faut renoncer. Renoncer à cette tache que je ne saurais peut-être plus reproduire, à cette ligne si gracieuse, à ce passage de couleur si vibrant… les laisser repartir vers l’effacement, n’être plus que nervures dans la toile de fond.
Il faut creuser, aller rechercher, tel un archéologue, cette autre forme qui n’est plus qu’un vestige, ranimer l’empreinte.
Enfin, entre renoncements et réminiscences, vient la maturité. Harmoniser, mettre en accord ces fragments, ces formes anachroniques et ces cicatrices aussi ; trouver cet équilibre mystérieux qui rétablit un instant le silence tout en laissant deviner la rumeur, l’entropie vers lequel il bascule.
C’est là, dans cette rumeur que frémit une Présence.
Alors, vient le temps de se retirer. Bye Bye, dit-on en signant la toile sur un ton désinvolte ; pour cacher son trouble, celui de dire Bienvenue au spectateur ; franchira-t-il le seuil ? Sera-t-il visiteur ? Se laissera-t-il bercer par cette rumeur jusqu’à y ajouter son propre mouvement ?
Un dernier coup de pinceau, juste pour le geste, dernière caresse du vernis, et bonne route à tous, à toi l’image et à ceux (y compris moi) dont tu arrêteras le regard.
Je vous souhaite, je nous souhaite une route pleine de « Au Revoir ».